Comme le titrait La Provence du mardi 25 juillet 2023 « La colère des policiers, Le risque de contagion », dans les rangs de la police, la gronde devient fronde depuis l’incarcération d’un homme de la BAC mis en examen pour violences aggravées sur un jeune homme en marge des émeutes à Marseille.
Une rapide mise en situation :
Faute de pouvoir utiliser le droit de grève en application de l’article L.114-3 qui stipule « Les fonctionnaires actifs de la police nationale et les fonctionnaires des services déconcentrés de l’administration pénitentiaire ne jouissent pas du droit de grève. Toute cessation concertée du service, tout acte collectif d’indiscipline caractérisée de la part de ces fonctionnaires peuvent être sanctionnés sans consultation préalable de l’organisme siégeant en conseil de discipline prévu à l’article L. 532-5. Les personnes mises en cause sont mises à même de présenter leurs observations sur les faits qui leur sont reprochés », les policiers ont recours soit au congé pour raison de santé soit au « code 562 » un code administratif obsolète exhumé par un syndicat, jadis synonyme de « position d’attente ».
Tout fonctionnaire en activité, comme le fixe l’article L.822-1 du code général de la fonction publique, « a droit à des congés de maladie lorsque la maladie qu’il présente est dûment constatée et le met dans l’impossibilité d’exercer ses fonctions ». La durée totale des congés de maladie peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs (article L.822-2) et il est rémunéré à plein traitement pendant 3 mois puis à demi-traitement pendant 9 mois (article L.822-3). Le bénéfice des dispositions sur les congés pour raison de santé est subordonné à la transmission par le fonctionnaire à son administration de l’avis d’arrêt de travail justifiant du bien-fondé du congé de maladie (article L.822-4).
Cette situation est déontologiquement difficile à appréhender pour les médecins consultés ; toutefois comme le souligne un médecin généraliste du 1er arrondissement de Marseille : « Lorsque je perçois une fatigue psychologique et/ou psychique chez mon patient, qu’il soit policier ou non, je suis là pour l’entendre » et lui prescrire un arrêt de travail au vu de son état.
Réglementairement, le fonctionnaire demandant le bénéfice ou bénéficiant de congés pour raison de santé est tenu de se soumettre à des obligations en vue de l’octroi ou du maintien de ses congés, sous peine de voir réduire ou supprimer le traitement qui lui avait été conservé (article L.822-29). Toutefois, on imagine difficilement la hiérarchie faire contrôler par un médecin plusieurs centaines de policiers quand on connait déjà la difficulté de faire contrôler un fonctionnaire en temps normal.
Lorsqu’un policier est en service, il doit signaler son activité et sa position à son service en utilisant des « codes de main courante », le « code 562 » est l’appellation historique d’un « code de procédure informatisée, prévu par l’administration, pour dire que les policiers sont en service, mais pas sur le terrain » ; le policier est au commissariat. Concrètement, cela signifie que les policiers concernés n’assument plus que les missions essentielles et d’urgence. Ils effectuent leurs tâches de routine comme les patrouilles, réduites en nombre, mais les plaintes sont refusées. Seuls les cas présentant un danger sont pris en charge.
Pourquoi une telle situation ? :
Des policiers en arrêt maladie racontent le mal-être très profond, cette suspicion permanente qu’ils ressentent sans pour autant réclamer un blanc-seing pour leurs actions.
Ils soulignent aussi leur incompréhension devant une détention provisoire immédiate 15 jours après les faits d’un policier sans antécédents quand des personnes ayant des antécédents énormes ne sont jamais incarcérés si vite.
Cette contestation est née de la base et non des syndicats, qui peinent à s’y raccrocher. Elle découle de ressentis individuels cumulés et non d’une revendication collective structurée. C’est en cela que l’on peut parler de fronde.
Une fronde selon le dictionnaire Larousse, c’est « Critiquer le pouvoir, l’autorité en les provoquant » et l’on peut aisément, sans les confondre, rapprocher celle-ci de celle des gilets jaunes. Derrière ces mouvements somme toute violents, il y a un sentiment de déclassement.
Dans le cas des policiers, ils déclarent ressentir un déclassement du respect envers leur fonction, une incompréhension de ce qui se passe lors d’épisodes de maintien de l’ordre, durant lesquels « c’était le chaos, çà tirait des bouteilles en verre, des mortiers … comment tu fais pour rétablir l’ordre ? Ils n’ont pas des frites en mousse en face, hein… » (La Provence du 25 juillet 2023).
Et sur France-info, estime un policier, à visage couvert que « Tout le monde est au bout du bout. C’est une espèce de réflexion. C’est le coup de trop qui fait qu’on se dit que ce n’est plus possible. Je ne me sens plus d’aller travailler dans ces conditions ».
Comment définir le déclassement ?
Le déclassement, concept très présent dans le débat public depuis 30 ans, est une notion sociologique polysémique qui peut renvoyer à trois définitions distinctes, et donc à trois réalités sociales différentes mais non exclusives les unes des autres :
- Il revêt une dimension intergénérationnelle et est alors synonyme de mobilité sociale descendante; c’est-à-dire le fait de descendre l’échelle sociale, c’est-à-dire de dériver vers un rang social inférieur au milieu dont on est issu.
- Il peut aussi se mesurer au cours du cycle de vie en ne comparant pas la situation d’un individu à celle des générations précédentes, mais en décrivant des trajectoires de déclassement au cours d’un parcours de vie. Il s’apparente à une baisse de statut qui implique davantage de facteurs, et apparaît dans diverses situations. Il peut se traduire par la perte d’un emploi, un appauvrissement monétaire ou encore une perte de prestige social.
- Il peut enfin être synonyme du concept anglo-saxon d’overeducation et renvoie à la situation d’individus qui seraient trop qualifiés pour les emplois qu’ils occupent.
Si en 2017, seulement un quart des personnes expriment un sentiment de déclassement, ce sentiment semble gagner du terrain dans des catégories sociales que l’on pensait à l’abri des statuts de la fonction publique comme les policiers mais aussi les enseignants voire même les magistrats. Perte de prestige social ? Overeducation ? Réalité ou perception ? Certainement un peu des deux !
En 1975, lorsque je suis rentré dans le monde professionnel, seulement 20 à 25% de ma classe d’âge avait le baccalauréat général ou technologique (le bac pro n’existait pas encore) et avec un bac vous pouviez être catégorie A dans la fonction publique. Aujourd’hui, c’est plus de 80 % des personnes d’une classe d’âge qui sont bacheliers et selon des études de l’INSEE, près de 30 % de la population à un niveau de formation supérieur à bac+2 ; Par contre, nombreux sont ceux qui malgré leur diplôme sont en catégorie C, c’est-à-dire dans des fonctions d’exécution selon la nomenclature en vigueur. Cet état de fait peut conduire à un sentiment de déclassement intergénérationnel mais aussi de perte de prestige social. La police, comme l’ensemble de la fonction publique y est soumise.
Une question politique mais aussi de management ressources humaines et de dialogue social
Si bien entendu comme l’ a déclaré le président de la République à l’adresse des policiers frondeurs, « Nul en République n’est au-dessus de la loi » , cela en fait une question politique ; mais c’est aussi une question de management ressources humaines et de dialogue social qui est à la peine malgré de nombreuses tentatives depuis 2007 pour le redynamiser avec les accords de Bercy, la loi n° 2010-751 du 5 juillet 2010 relative à la rénovation du dialogue social et la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique qui consacre son premier volet au dialogue social.
Que peut proposer CUMEO ?
Certes, CUMEO n’a pas la prétention de solutionner cette situation complexe au niveau national, mais il peut apporter une aide au niveau local dans le cadre de formations basées sur le concept des formations communes.